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Homme politique vs. Homme médiatique

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Jean-François Copé

La relation particulière qu’entretiennent les responsables politiques avec les journalistes fait partie de ces marronniers dont se délectent les analystes comme les pourfendeurs du modèle politique français. Une relation particulière parce qu’elle implique autant une confrontation entre des acteurs opposés de la sphère politique – Bruno Le Maire comparait dans son dernière livre une interview télé à un match de boxe – qu’une forme de relation donnant-donnant, une économie du don et du contre-don où chaque acteur a besoin de l’autre pour exister.

Mais si cette relation entre les journalistes et les politiques est si particulière en France, c’est aussi en raison des entraves légales à la communication politique, entraves qui ont pour conséquence la place exorbitante laissée aux médias dans les plans de communication. Une médiatisation devenue ainsi prépondérante dans la stratégie politique des responsables publics, au point d’en devenir, pour certains, un véritable aboutissement.

La médiatisation comme stratégie politique

En politique, l’accès aux médias est à la fois un moyen et une récompense. Il est un moyen de faire passer ses idées, de se construire une stature, et finalement, de gagner des galons au sein de sa famille politique. Il est aussi une récompense pour ceux qui ont acquis un poids politique suffisant pour devenir légitimes aux yeux des médias.

Un politique à l’orée de sa carrière, en phase ascendante, a évidemment besoin d’accéder aux médias pour conforter sa légitimité naissante et gagner en capital politique. Dans cette perspective, il est important d’être au maximum présent dans les médias, d’accéder à toute sollicitation. Mais pour cela, mieux vaut être un “bon client”, faire du bruit, avoir des idées chocs et des choses à dire. C’est ainsi qu’un jeune élu comme Pierre-Yves Bournazel est parvenu à crever l’écran. Chef de file de l’UMP dans le 18e arrondissement de Paris, il est apparu comme l’un des principaux rivaux de NKM pour l’investiture UMP dans la capitale. Prenant un rôle essentiel dans le storytelling médiatique qui a accompagné cette primaire, il devient le jeune loup débordant d’énergie et d’ambition, et s’ouvre rapidement les portes des plateaux à coup de punchlines bien senties (“Je ne serai pas un maire tremplin mais un maire à temps plein”), au point d’en devenir désormais un invité régulier. Des punchlines ou phrases chocs que l’ont retrouve par ailleurs au coeur de la stratégie médiatique de ces jeunes politiques, tant les médias sont friands de ces petites phrases cinglantes et parfois assassines dont nous abreuvent Twitter et les chaînes d’info en continu.

A l’inverse, la stratégie du politique installé s’avère plus complexe. Disposant d’un capital politique important lui offrant un accès privilégié aux médias, sa présence médiatique doit être calculée. C’est la fameuse stratégie du silence théorisée par Jacques Pilhan dans les années 1980 : une présence limitée et planifiée dans les médias donne une résonance accrue à la parole publique et contribue à construire une stature d’Homme d’Etat. Un exemple notamment retenu par Nicolas Sarkozy qui, à fin de présidentialisation, réduisit largement sa présence médiatique dans la seconde partie de son quinquennat. Cet enjeu de présidentialisation et de présence dans les médias demeure plus que jamais d’actualité pour le locataire de l’Elysée.

Mais les politiques ne choisissent pas tous cette stratégie de la distanciation dans leurs rapports aux médias. La guerre interne qui s’est déroulée à l’automne 2012 pour la présidence de l’UMP a laissé apparaître des stratégies diamétralement opposées dans ce domaine. François Fillon choisissait alors de raréfier ses apparitions pour prendre de la hauteur et s’élever “au-dessus de la mêlée”. A l’inverse, Jean-François Copé multipliait les rendez-vous médiatiques et devenait omniprésent. Un appétit médiatique difficile à freiner, comme nous l’avait avoué son conseiller Bastien Millot, reconnaissant une divergence de vues sur ce sujet.

Mais que l’on choisisse l’une ou l’autre de ces méthodes, une bonne stratégie médiatique est avant tout pensée dans le temps. Bien maîtriser son agenda médiatique revient à savoir à quel moment rester en retrait de la scène politique, et au contraire, à quel moment devenir omniprésent. En somme : avoir un plan média bien calibré. Candidat déclaré à la primaire UMP pour la prochaine élection présidentielle, Bruno Le Maire est récemment passé à l’offensive médiatique en proposant une idée choc : réduire la durée d’indemnisation du chômage. Une proposition explosive mais construite et argumentée, qui lui a permis d’occuper le devant de la scène politique en inscrivant ce thème à l’agenda politique.

Autre position, autre stratégie. Nicolas Sarkozy a pour l’instant choisi un silence assourdissant, dont filtrent néanmoins de nombreuses confidences qui, vraies ou fausses, tiennent en haleine tous les observateurs. Pour l’ancien président, le principal enjeu sera de réussir son retour dans l’arène politique, et donc médiatique, selon une stratégie calibrée de présence dans les médias. Le calme avant la tempête ?

Ne pas confondre médiatisation et popularité

La finalité de toute stratégie de communication politique est sans nul doute de susciter l’adhésion des citoyens à l’égard d’un responsable politique. La présence dans les médias est un outil au service de cette finalité, mais la seule médiatisation n’est pas de nature à générer l’approbation.

C’est ce que démontre l’exemple de Jean-François Copé. En dépit de son omniprésence médiatique, le président de l’UMP ne décolle pas dans les sondages d’opinion, et ne parvient pas à transformer sa notoriété en popularité. Phénomène inverse, on observe souvent que ceux qui s’éloignent de la scène politique, et sont donc moins présents dans les médias, retrouvent la confiance des Français interrogés dans les enquêtes d’opinion. C’est notamment le cas pour les anciens président de la République, dont les cotes de popularité reprennent de la hauteur si tôt leur mandat terminé. Ce fut aussi le cas pour un certain Bernard Kouchner, qui ne fut jamais autant populaire que lorsqu’il était haut-représentant de l’ONU au Kosovo, totalement absent de l’espace médiatique français.

Certaines personnalités continuent pourtant obsessionnellement de croire que médiatisation est synonyme de popularité. Ou du moins que la présence dans les médias est la condition sine qua non de leur survie politique (ce qui est parfois vrai). La médiatisation n’est alors plus un moyen au service d’une ambition politique, elle en devient l’essence, un aboutissement en soi. Elle permet aux “has been”, cette ribambelle d’“ex” – ex-ministres le plus souvent – de continuer à exister et de conserver précieusement un reliquat de légitimité au sein de leur famille politique.

Il faut pour cela être un bon client des médias, faire le show, agrémenter son propos de petites phrases qui feront la dépêche. Mais qui dit bon client ne dit pas forcément bon responsable politique, car l’expression dans les médias n’a pour ces personnes aucune portée performative sur l’action publique; elle crée simplement une écume médiatique qui garantira de nouvelles invitations sur les plateaux.

On reconnaîtra, certes, que cette dimension performative de la parole publique est assez peu présente, en général, dans le discours de nos responsables politiques. Elle l’est encore moins – c’est-à-dire quasi nulle – chez ceux qui courent les plateaux télé à cette seule fin. Pour eux, la médiatisation est une drogue dont il apparaît difficile de se sevrer. Elle leur permet d’avancer au quotidien. Et comme toute forme de dépendance, elle pousse ses consommateurs à faire des choses insensées pour avoir leur dose. D’où les efforts déployés par nombre d’anciennes têtes d’affiches politiques, capables de prendre des initiatives fortes dans le seul but d’exister politiquement. Jeter un coup d’oeil au bureau de l’association des Amis de Nicolas Sarkozy suffit à s’en convaincre.

Emilien Roso

 

Photo: DR.



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